Une proposition de loi qui ne date pas d’hier…
Plusieurs députés ont en effet présenté une proposition de loi créant une fonction de directeur d’école qui a été votée le 24 juin à l’Assemblée nationale et qui doit maintenant être examinée par le Sénat.
A la tête de ces députés, on retrouve Cécile Rilhac, députée LREM, auteur notamment :
► de la mission flash sur les directeurs qui préconisait de supprimer les écoles maternelles en les fusionnant avec les écoles élémentaires, ainsi que la mise en réseau des écoles et la création d’un statut de directeur.
► de l’amendement sur les Établissements Publics des Savoirs Fondamentaux (EPSF), fusionnant les écoles et les collèges en supprimant les postes de directeurs, dans le cadre du projet de loi sur l’école de la confiance, amendement qui avait été rejeté suite à la mobilisation pour le retrait de la loi Blanquer.
Tout un programme ! Mais, du projet Monory sur les maîtres directeurs, aux EPSF de la loi Blanquer, en passant par les EPEP, toutes les tentatives des différents gouvernements pour créer un statut de directeur et mettre en place des établissements autonomes ont échoué face à la mobilisation des personnels.
Le projet de loi Rilhac n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle tentative en ce sens. « Nous souhaitons proposer une loi qui vise à créer une fonction de directeur d’école afin de donner à nos directrices et directeurs d’école un cadre juridique leur permettant d’exercer les missions qui leur sont confiées. » indique l’exposé des motifs de la proposition de loi.
Or, le cadre juridique existe déjà : c’est le décret du 24 février 1989 relatif aux directeurs d’école, dont le SNUDI-FO demande le respect et le maintien. Le projet de loi a donc un autre objectif, celui de bouleverser le fonctionnement des écoles et d’avancer vers la création d’un statut de directeur. De quelle manière ?
Délégation de compétences : attention danger !
Dans un premier temps, les députés avaient prévu de créer un emploi fonctionnel sur lequel les directeurs auraient été nommés pour une durée déterminée et sommés d’appliquer une feuille de route décidée par l’IA-DASEN. La couleuvre étant sans doute un peu difficile à faire avaler aux personnels, ils ont finalement choisi un autre dispositif : le directeur bénéficierait désormais d’une « délégation de compétences » des autorités académiques, premier pas vers un statut de directeur supérieur hiérarchique dans les écoles.
Les premières propositions du ministère lors des groupes de travail sont éloquentes : cette délégation de compétences de l’IEN vers les directeurs pourrait s’incarner par le fait que ceux- ci seraient responsables de l’accueil et de l’accompagnement des stagiaires et des néo-titulaires (T1, T2, T3) dans leur école, de la coordination des PIAL dans le cadre de l’école inclusive, de l’articulation des temps de l’enfant au travers des PEdT, des parcours « inter-cycles » des élèves, à savoir la liaison maternelle/élémentaire et élémentaire/collège…
Bref, la délégation de compétences, en plus d’attribuer des tâches supplémentaires aux directeurs, ferait d’eux les contremaîtres de la mise en place de toutes les réformes ministérielles !
Par ailleurs, selon la proposition de loi, les directeurs devraient faire appliquer les décisions du conseil d’école (car avec le projet de loi, les conseils d’école prendraient désormais des décisions alors que jusqu’à présent ils se contentaient de donner un avis) et rendre des comptes à la mairie !
Article 1 : un bouleversement
du fonctionnement de l’école et de la place du directeur !
Article 1 : exposé des motifs Commentaires du SNUDIFO
Le directeur est décisionnaire lors des débats qu’il organise pour assurer le bon fonctionnement de l’école sur le plan pédagogique comme sur celui de la vie de l’école. Le décret de 1989 donnait certes la responsabilité au directeur de répartir les élèves et d’arrêter le service des instits et des PE (après avis du conseil des maîtres), de répartir les moyens d’enseignement, d’organiser le travail des personnels communaux…
Mais la proposition de loi veut désormais donner un rôle décisionnaire au directeur y compris sur le plan pédagogique ! Le décret de 1989 indique « Le directeur d’école assure la
coordination nécessaire entre les maîtres et anime l’équipe pédagogique. » et « Il aide au bon déroulement des enseignements en suscitant au sein de l’équipe pédagogique toutes initiatives destinées à améliorer l’efficacité de l’enseignement dans le cadre de la réglementation »
Désormais, à contrario, il pourrait décider de tout ! Comment ne pas y voir la remise en cause de la liberté pédagogique des enseignants et un facteur de tension importante au sein des équipes ?
Article 1 : exposé des motifs (suite) Commentaires du SNUDIFO
À ce titre, il a autorité pour prendre des décisions en lien avec ses différentes missions ainsi que sur les personnels qui sont sous sa responsabilité durant le temps scolaire, sans en être le responsable hiérarchique, qui demeure l’inspecteur de l’éducation nationale (IEN) pour les enseignants et la commune pour les personnels municipaux.
Ainsi, en cas de graves dysfonctionnements de son établissement ou de mise en danger des personnes, il peut prendre toutes dispositions nécessaires pour rétablir le bon fonctionnement et la sécurité des biens et des personnes. Qu’estce qu’un « grave dysfonctionnement » ? Et quelles sont les « dispositions nécessaires » que pourrait prendre le directeur ?
Rappelons que selon la proposition de loi, le directeur « bénéficierait d’une délégation de compétences des autorités académiques » et pourrait donc prendre des décisions qui relèvent de l’IEN !
Ces lignes confirment que, dans les faits, le directeur deviendrait supérieur hiérarchique tel le chef d’établissement !
Le directeur rend compte alors dans les meilleurs délais, à l’autorité académique, au maire ou au président de la collectivité territoriale compétente en matière d’éducation, des décisions et dispositions qu’il a prises. Il en informe également le conseil d’école lors de sa réunion. Le décret de 1989 sur les directeurs d’école indiquait que : « Le directeur d’école est l’interlocuteur des autorités locales ». Désormais, il doit leur rendre des comptes !
Au moment où avec la crise sanitaire le ministre Blanquer amplifie la territorialisation de l’école, ce passage en dit long sur la volonté des députés de placer l’école et en premier lieu les directeurs sous la tutelle des élus locaux !
Article 1 Commentaires du SNUDIFO
Un directeur veille à la bonne marche de chaque école maternelle, primaire ou élémentaire ; il assure la coordination nécessaire entre les maîtres. Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions de recrutement, de formation et d’exercice des fonctions spécifiques des directeurs d’école maternelle, primaire et élémentaire. Le directeur de l’école préside le conseil d’école qui réunit les représentants de la communauté éducative, entérine les décisions qui y sont prises et les met en œuvre. Il organise les débats sur les questions relatives à la vie scolaire. Il bénéficie d’une délégation de compétences de l’autorité académique pour le bon fonctionnement de l’école qu’il dirige. Il n’exerce pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de son école. La composition et les attributions du conseil d’école sont précisées par décret. La participation des parents se fait par le biais de l’élection de leurs représentants au conseil d’école chaque année Ces quelques lignes bouleversent le fonctionnement de l’école :
► Auparavant, le conseil d’école, où les enseignants sont minoritaires, donnait son avis sur les principales questions de la vie scolaire. Désormais, il prendrait des décisions qui devraient être entérinées et appliquées par le directeur. Cela va dans le sens de la territorialisation de l’école en favorisant son autonomie, comme pour les établissements du 2nd degré.
► Pour appliquer ces décisions, s’il est précisé que le directeur
« n’exerce pas d’autorité hiérarchique que les enseignants de son école », il bénéficierait néanmoins « d’une délégation de compétences de l’autorité académique pour le bon fonctionnement de l’école qu’il dirige ». Cette délégation de compétences (discutée au ministère alors que la loi n’est pas votée !) pourrait s’incarner par le fait que les directeurs soient responsables de l’accueil et de l’accompagnement des stagiaires et des néotitulaires (T1, T2, T3) dans leur école, de la coordination des PIAL dans le cadre de l’école inclusive, de l’articulation des temps de l’enfant au travers des PEdT, des parcours
« intercycles » des élèves, à savoir la liaison maternelle/élémentaire et élémentaire/collège…
Bref, la délégation de compétences, en plus d’attribuer des tâches supplémentaires aux directeurs, ferait d’eux les contremaîtres de la mise en place de toutes les réformes ministérielles ! Tout laisse à penser que la volonté de l’État est de créer, en passant par la fenêtre, un statut de supérieur hiérarchique que la loi Blanquer n’a pas pu mettre en place par la grande porte.
► Et rappelons le, il est précisé dans l’exposé des motifs que le directeur devrait également rendre des comptes au maire !
Article 2 Commentaires du SNUDIFO
« Art. L. 411‐2. – I. – Le directeur d’école maternelle, élémentaire ou primaire dispose d’un emploi de direction. » L’emploi fonctionnel prévu dans la proposition de loi initiale est remplacé par un emploi de direction dont le contenu n’est pas détaillé… mais la délégation de compétences introduite dans l’article 1 suffit à faire dans les faits, du directeur un supérieur hiérarchique soumis à toutes les pressions des autorités académiques. Ce terme
« emploi de direction » n’est pas sans rappeler le vocable utilisé pour
les « personnels de direction » du 2nd degré : il n’y a qu’un pas pour faire le parallèle entre le directeur d’école et le chef d’établissement du 2nd degré.
« II. – Les enseignants nommés à l’emploi de directeur d’école bénéficient d’une indemnité de direction spécifique ainsi que d’un avancement accéléré au sein de leur corps dans des conditions fixées par décret. Aucune mesure de contingentement ne peut être opposée à leur avancement de grade. » Les directeurs d’école bénéficieraient donc d’une indemnité, mais le montant de celleci n’est pas précisé… Le SNUDIFO revendique 100 points d’indice supplémentaires pour tous les directeurs et chargés d’école.
Quant à l’avancement accéléré, le décret n’en précise pas non plus les détails. Mais si avancement accéléré il y a, pourquoi ne pas le mettre en place pour la totalité des professeurs des écoles et instituteurs ?
Avec un avancement spécifique, ne se dirigeton pas vers la création d’un statut particulier différent de celui qui existe actuellement où c’est un enseignant qui fait fonction de directeur d’école ?
Article 2 (suite) Commentaires du SNUDIFO
« IV. – Le directeur d’école peut bénéficier d’une décharge totale ou partielle d’enseignement. Cette décharge est déterminée en fonction du nombre de classes et des spécificités de l’école dont il assure la direction, dans des conditions fixées par décret. Le directeur participe à l’encadrement du système éducatif. Lorsque sa mission de direction n’est pas à temps plein, il peut être chargé de missions d’enseignement dans l’école dont il a la direction ou de missions de formation ou de coordination.
Ces missions sont définies à la suite d’un dialogue annuel avec l’inspection académique. » Alors que la proposition de loi prévoyait de décharger totalement les directeurs de 8 classes et plus, cette partie n’a pas été retenue à l’Assemblée nationale sur proposition de la députée Rilhac. Ainsi, après avoir fait miroiter une décharge complète à de nombreux directeurs en échange de bouleversements statutaires, voici qu’on leur retire le tapis.
La ficelle est un peu grosse … Il est clair que la mise en place d’une décharge totale à partir de 8 classes a été annoncée à grand renfort de communication pour masquer aux personnels les aspects néfastes de la proposition de loi ! Cette mesure est donc retirée mais la délégation de compétence, l’obligation d’appliquer les décisions des conseils d’école, elles, restent. Aucune assurance n’est donnée pour les écoles de 1 à 3 classes qui n’ont aucune journée de décharge hebdomadaire actuellement. Par contre, les « spécificités de l’école » auraient pour conséquence des décharges attribuées à la carte selon des critères variés et les choix des IADASEN.
Par ailleurs, la « feuille de route » décidée par l’inspecteur d’académie disparaît mais un « dialogue annuel » est mis en place avec l’inspecteur d’académie pour discuter des missions de formation et de coordination du directeur… Quelle forme prendra ce « dialogue annuel » avec l’inspecteur d’académie ? Quelle latitude auront les directeurs pour refuser des tâches supplémentaires ? Dans quel cadre? Un dialogue avec son supérieur hiérarchique, sans contrôle des délégués du personnel, ressemble fortement à un entretien annuel qui existe dans le privé où les objectifs sont établis à l’année.
« V. – Le directeur administre l’école et en pilote le projet pédagogique. Il exerce les compétences prévues à l’article L. 411‐1. Il est membre de droit du conseil école‐collège défini à l’article L. 401‐4. Il ne participe pas aux activités pédagogiques complémentaires de son école, sauf s’il est volontaire. » Le directeur ne « veille [plus] à la bonne marche de l’école » comme l’indique le décret de 1989 sur les fonctions des directeurs d’école. Avec cet article, il devrait « administrer » l’école.
N’oublions pas que le terme « administrer » veut dire : « assurer, en tant que responsable, le fonctionnement d’un service, dont on assume la direction, l’impulsion, le contrôle ». Ainsi, le projet de loi pourraitil attribuer une responsabilité légale (voire pénale) aux directeurs d’école ?
Entre la délégation de compétences et le fait que le directeur administre désormais l’école, les pièces du puzzle se mettent petit à petit en place pour avancer vers le statut du chef d’établissement, supérieur hiérarchique !
Par ailleurs, le directeur deviendrait un membre de droit du conseil écolecollège, au même titre que le principal de collège et l’IEN !
Cela en dit long sur la volonté, à travers la délégation de compétences, de faire du directeur un supérieur hiérarchique !
« VI. – Un décret fixe les responsabilités des directeurs d’école maternelle, élémentaire ou primaire ainsi que les modalités d’évaluation spécifique de la fonction. » Avec cet article, il est indiqué que les directeurs seraient évalués de manière différente des PE avec des « modalités d’évaluation spécifique », dans le cadre de la délégation de compétences.
« VII – Le directeur d’école dispose des outils numériques nécessaires à sa fonction. » De quels outils numériques parleton ? Attendons de voir comment cette phrase sera traduite dans les faits.
Encore une fois, le projet de loi met en avant la simplification des tâches et non leur allègement !
Article 2bis Commentaires du SNUDIFO
Lorsque la taille ou les spécificités de l’école le justifient, l’État et les communes ou leurs groupements peuvent, dans le cadre de leurs compétences respectives, mettre à la disposition des directeurs d’école les moyens permettant de garantir l’assistance administrative et matérielle de ces derniers. La proposition de loi met en place une aide administrative à la carte, en fonction de la taille ou de la spécificité de l’école, renforçant les inégalités entre cellesci. Quels critères seront mis en place pour attribuer ces moyens ? Avec quel budget ? Qui décidera si c’est l’État ou la commune qui met en place cette assistance ? Et de quel type seratelle ? Bref on est loin de la revendication d’une aide administrative statutaire dans chaque école, gérée uniquement par l’Éducation nationale !
Article 3 : un super-directeur chargé de “coacher” ses pairs !
Article 3 Commentaires du SNUDIFO
Un référent direction d’école est créé dans chaque direction des services départementaux de l’éduca‐ tion nationale. Un décret précise les missions et les modalités de recrutement de ce référent, qui doit déjà avoir exercé des missions de direction. Ainsi, un superdirecteur, choisi par l’IADASEN via un poste à profil ou un appel à candidature, deviendrait référent des autres directeurs.
Dans quel objectif ? N’estce pas pernicieux de désigner un collègue chargé de « coacher » ses pairs plutôt que de les renvoyer vers l’IEN, qui reste le supérieur hiérarchique de tous les enseignants ?
Article 4 Commentaires du SNUDIFO
Le directeur d’école mentionné à l’article L. 411‐1 du code de l’éducation peut être chargé, en sus de ses fonctions et sous réserve de son accord, de l’organisation du temps périscolaire par convention conclue avec la commune ou le groupement de communes dont relève l’école. Cet article introduit une possible contractualisation entre la collectivité locale et l’Éducation nationale, renforçant ainsi la confusion scolaire/périscolaire, alors que, l’exposé des motifs de l’article 1 indique que le directeur doit rendre compte au maire !
Article 4 bis Commentaires du SNUDIFO
Le directeur d’école peut mettre en place un conseil de la vie écolière, constitué à parité d’élus élèves, de représentants de l’administration et des parents, qu’il préside. Cet article, à l’apparence anodine, crée l’équivalent des Conseils de la Vie Collégienne (CVC) ou Lycéenne (CVL) dans le 2nd degré qui ont été institués dans la Loi de Refondation de 2013. Outre la volonté de calquer le fonctionnement des écoles sur ceux des collèges ou lycées, il représente une charge supplémentaire pour les directeurs qui vont subir toutes sortes de pressions pour mettre cette instance en place.
Article 5 Commentaires du SNUDIFO
L’élection des représentants des parents d’élèves au conseil d’école peut se faire par voie électronique sur décision du directeur d’école. La proposition initiale, qui était d’annuler les élections lorsqu’une seule liste se présentait, a été abandonnée…
Voie électronique ou pas, l’allègement des tâches des directeurs a fait long feu !
Article 6 Commentaires du SNUDIFO
Le chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code de l’éducation est complété par un article L. 411‐4 ainsi rédigé :
« Art. L. 411‐4. – Chaque école dispose d’un plan pour parer aux risques majeurs liés à la sûreté des élèves et des personnels. Ce plan est établi par l’autorité académique, la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale gestionnaire du bâtiment et les personnels compétents en matière de sûreté. Le directeur le complète en fonction des spécificités de son école, en assure la diffusion auprès de la communauté éducative et le met en œuvre. Il organise les exercices nécessaires au contrôle de son efficacité. » Le PPMS serait du « ressort de l’autorité académique, de la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale et des personnels compétents en matière de sécurité », oubliant l’application de la loi n° 2004811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, qui confie aux préfets et aux maires l’élaboration de plans (ORSEC et Plans Communaux de Sauvegarde, PCS).
Le directeur reste par contre responsable :
► de compléter le plan ;
► d’en assurer la diffusion ;
► d’en assurer la mise en œuvre ;
► d’organiser les exercices nécessaires.
Bref, les directeurs continueraient à porter sur leurs épaules la quasi totalité de la mise en place du PPMS !
Où est l’allègement significatif des tâches des directeurs ? C’est de l’enfumage !